LOCOMOTIVE. adj, et s. f. T. Mécan.
Enc. -On appelle Machines locomotives, et par
abréviation, Locomotives, les machines à vapeur montées sur des roues,
qui marchent sur les chemins de fer avec le convoi qu'elles remorquent.
I. Une loc. se compose toujours des trois parties
suivantes : une chaudière accompagnée de son foyer et de sa cheminée; un
mécanisme moteur composé de cylindres, pistons, bielles et manivelles;
un chariot ou train consistant en un grand châssis rectangulaire porté
sur des essieux et des roues.
A. La chaudière (Fig. 1) comprend trois parties principales :
-La boîte à feu, qui renferme le foyer; le corps
cylindrique, grand cylindre de tôle qui contient l'eau à vaporiser; et la boite
à fumée, qui est destinée à recevoir les produits de la combustion. -Le Foyer
(Fig. 1, A) est une caisse rectangulaire faite de cuivre rouge, dont la partie
inférieure est munie d'une grille sur laquelle brûle le combustible, et dont la
paroi postérieure présente une petite porte par laquelle on introduit ce
dernier. Enfin, au-dessous de la grille est un cendrier qui reçoit les
cendres à mesure qu'elles tombent, et qui livre passage à l'air nécessaire à la
combustion. Le foyer est toujours entouré d'une enveloppe de tôle de
fer, qui est close de toutes parts, à l'exception des parties qui correspondent
à la petite porte et au corps cylindrique, et qui s'arrête à la hauteur du
ciel, c'est-à-dire du plafond du foyer. Au delà de ce point, elle est surmontée
d'un dôme demi-cylindrique ou pyramidal. Les parois du foyer et de l'enveloppe
sont séparées par un espace vide de 7 à 10 cent. de largeur, dans lequel vient
se loger une partie de l'eau fournie par les pompes alimentaires. De cette
manière, le foyer se trouve enveloppé par le liquide, ce qui permet d'utiliser
tout l'effet du combustible.
-Le Corps cylindrique, B, offre deux parties
principales : les tubes calorifères et leur enveloppe. Les tubes sont de
petits cylindres de cuivre de 30 à 50 millim. de diamètre intérieur et de 2 m.
40 à 4 m. de longueur. Il y en a au moins 100 par machine, mais leur nombre
s'élève très souvent à 200, et même 300 et au delà. Ils sont horizontaux, et
fixés d'un côté dans la paroi antérieure du foyer, et de l'autre dans la paroi
postérieure de la boite à fumée. Ils sont renfermés dans le corps cylindrique
proprement dit, c-à-d. dans un gros cylindre de tôle, qui communique librement
avec l'espace qui sépare le foyer de son enveloppe. Les tubes reçoivent les gaz
produits par la combustion, et c'est dans l'intervalle qui les sépare que se
trouve la plus grande partie du liquide à vaporiser. L'eau les couvre en
entier; néanmoins son niveau est maintenu de telle sorte que la section
supérieure du cylindre reste vide.
-La Boîte à fumée,G, peut recevoir les formes les
plus diverses ; mais elle est toujours surmontée d'une cheminée de tôle
par laquelle la fumée s'échappe dans l'atmosphère. Cette cheminée présente une
particularité qu'on ne rencontre pas dans celle des machines fixes. Dans ces
dernières, c'est en donnant une grande hauteur à l'appareil qu'on obtient un
tirage suffisant, mais ce moyen étant inapplicable aux locomotives, on y a
pourvu en faisant passer dans la cheminée la vapeur qui a servi à faire mouvoir
les pistons : cette vapeur, s'échappant avec rapidité dans l'appareil, par un
tuyau spécial dit d'échappement de vapeur, entraine à sa suite une
grande quantité d'air, et produit le même phénomène que le courant d'eau dans
les machines soufflantes appelées trompes.
La chaudière est encore accompagnée de plusieurs appareils
particuliers destinés, les uns à prévenir les accidents, les autres à
régulariser la marche de la machine. Les appareils de la première espèce sont,
indépendamment d'un sifflet d'alarme, deux soupapes de sûreté,
qui se placent à la partie supérieure où elles sont chargées par
l'intermédiaire d'un levier au moyen de ressorts ou balances dont la
tension se règle à volonté ; Un ou deux indicateurs ou tubes de verre, qui se
fixent sur la paroi postérieure pour faire connaître le niveau de l'eau ; deux robinets
dits d'épreuve, qui ont la même destination ; et un manomètre,
qui se met à 20 centim. environ au-dessous de la ligne d'eau. Enfin, on
pratique souvent dans la paroi supérieure du foyer une ouverture fermée par un
bouchon de plomb qui fond quand le niveau du liquide baisse accidentellement au
point de découvrir cette partie de la machine. La chaudière porte en outre des robinets
de vidange, qui sont situés à la partie inférieure de la boîte à feu, et
dont le nom indique suffisamment la destination ; des robinets de purge,
fixés au niveau de l'eau, pour vider le trop-plein; et des robinets
réchauffeurs, qui servent, pendant les temps d'arrêt, à utiliser l'excès de
vapeur produite pour échauffer l'eau alimentaire contenue dans le fourgon d'approvisionnement,
appelé tender, qui est accroché à l'arrière de la machine.
La chaudière tubulaire et le tirage par un jet de
vapeur sont les deux traits caractéristiques des locomotives actuelles.
Tout le monde sait que la puissance d'une machine à vapeur dépend de la
quantité de vapeur qu'elle peut fournir, et que cette quantité de vapeur est
elle même subordonnée à la surface de chauffe de la chaudière, c.-à-d. à
l'étendue de la surface que cette dernière présente à l’action directe du feu.
Dans les premières locomotives, le corps cylindrique ne renfermant qu'un tube
unique de grand diamètre, la surface de chauffe ne dépassait guère 4 mètres, et
la vaporisation n'était pas suffisante pour produire la force mécanique
nécessaire à la marche à grande vitesse de convois lourdement chargés. Ces
machines rencontraient un autre obstacle dans la faiblesse de leur tirage, qui
ne produisait pas une combustion assez active pour produire la quantité de
vapeur exigée par les convois à grande vitesse. Aujourd'hui, la surface de
chauffe dépasse quelquefois 200 mèt. carrés, et le tirage s'opère avec une
activité prodigieuse. Aussi, tandis qu'avant 1825, la marche d'une l. trainant
une charge raisonnable ne dépassait pas 16 kil. à l'heure, aujourd'hui elle est
ordinairement de 60 à 80 kilom. -Un autre avantage qui résulte directement du
mode de construction des chaudières tubulaires, c'est qu'elles sont à peu près
inexplosibles, bien que la machine fonctionne sous une pression de 6 à 7
atmosphères. En effet, comme le foyer et le dôme qui le surmonte sont établis
avec une très-grande solidité, ce sont les petits tubes qui cèdent les premiers
quand il y a excès de pression; encore même cela n'arrive-t-il que pour ceux
qui sont amincis par l'usage, et, dans ce cas, tout se borne à une simple
déchirure de leurs parois, sans qu'il y ait explosion. De plus, l'eau projetée
dans le foyer par l'action de la vapeur diminue aussitôt l'activité du feu, et
en enfonçant dans chaque bout du tube crevé un tampon de bois que le liquide de
la chaudière empêche de brûler, on peut continuer sans danger à se servir de la
machine. En ce qui concerne le tirage, comme il cesse aussitôt que cette
dernière est arrêtée, il en résulte que la vapeur n'est plus produite en
quantité considérable et que dès lors, elle ne peut s'amasser dans la chaudière
de manière à la faire éclater. Si, au contraire, le tirage ne diminue pas,
c'est que la l. marche à une grande vitesse, et elle dépense alors la vapeur à
mesure qu'elle se forme.
B. Nous venons de
dire que la partie supérieure du corps cylindrique reste vide. C'est dans cet
espace vide, EE, où l'eau ne pénètre pas, que la vapeur vient se rendre à
mesure qu'elle se forme. Pour augmenter la capacité de ce réservoir de
vapeur, non-seulement on donne de grandes dimensions au dôme du foyer, mais
encore on ajoute fréquemment sur un point quelconque du corps cylindrique un
dôme additionnel qu'on appelle dôme de prise de vapeur. Toutefois,
depuis quelques années, beaucoup de constructeurs renoncent à cette dernière
disposition et préfèrent augmenter le diamètre du corps cylindrique. Le
réservoir à vapeur communique avec les cylindres à vapeur, y, dans
lesquels se meuvent les pistons, au moyen d'un tube spécial de grand diamètre
que l'on nomme tube éducteur ou tube de prise de vapeur. Dans les
machines qui ont un dôme (Fig. 1) ce tube, xxx, part de la partie la plus
élevée du dôme, descend verticalement jusqu'à une petite distance du niveau de
l'eau, se recourbe à angle droit et parcourt horizontalement le réservoir de
vapeur. Arrivé à la paroi postérieure de la boîte à fumée, il la traverse, se
recourbe de nouveau à angle droit, descend encore verticalement, puis se divise
en deux branches qui vont aboutir à autant de capacités particulières, qu'on
appelle boîtes à vapeur, z, et qui sont fixées au-dessus des cylindres
à vapeur, y. Enfin, vers son origine, le tube éducteur est muni d’un régulateur,
c.-à-d. d'un mécanisme qui sert à régler le passage de la vapeur, en l'ouvrant
ou en le fermant à volonté au moyen d'une manivelle placée sous la main du
mécanicien. Quand la machine n'a point de dôme, la prise de valeur a lieu
simultanément sur toute la longueur du tube éducteur, qui, dans ce cas, occupe
d'un bout à l'autre toute la partie supérieure du corps cylindrique, et qui
alors est percé, à sa partie supérieure, de fentes longues et étroites dans
lesquelles la vapeur se précipite à mesure qu'elle est produite, pour se rendre
de là dans une capacité où se trouve le régulateur, et d'où elle est dirigée
dans les boites à vapeur par deux tubes placés le plus souvent en dehors de la
chaudière.
Au point où notre description est arrivée, il est facile de
comprendre la marche d'une l. Une fois le foyer allumé, les gaz provenant de la
combustion pénètrent dans les tubes, chauffent l'eau contenue dans leurs
intervalles et la transforment en
vapeur. Celle-ci s'élève dans le réservoir, s'introduit dans le tube
éducteur, et finit par arriver aux boîtes à vapeur, qui, à leur tour, la
transmettent aux cylindres. Ces cylindres, y, sont toujours au nombre de deux,
un de chaque côté, placés dans le bas de la boîte à fumée ou sur ses côtés, et
plus ou moins inclinés à l'horizon. On les fait de fonte épaisse de 20 à 25
mill. Leur fond est traversé par la tige du piston. L'extrémité opposée de
cette même tige se lie à une bielle, c.-à-d. à un grand levier de fer
forgé, qui saisit un bouton fixé à l'une des roues motrices, lequel, étant
situé à une certaine distance de la roue, fait fonction de manivelle.
D'autres fois, au lieu d'être droit, l'essieu fait un coude, et c'est à ce
coude lui-même que la bielle est attachée ; mais cette disposition particulière
exige que les cylindres soient placés entre les roues, tandis que, dans la
première, ils leur sont extérieurs. La boîte à vapeur fait ordinairement corps
avec le cylindre. Elle communique avec ce dernier par deux canaux
rectangulaires, appelés lumières d'introduction (Fig. 2), entre lesquels
s'en trouve un troisième d'égale longueur, mais plus large, qu'on appelle lumière
d'échappement, et qui conduit dans le tuyau d'échappement de la
cheminée. Enfin, on donne le nom de table du cylindre à la surface plane
sur laquelle les trois canaux débouchent dans la boîte. Une sorte de caisse
renversée, nommée Tiroir, repose sur cette table, et sa disposition est
telle qu'en exécutant un glissement, elle peut fermer à la fois les deux
lumières ou alternativement chacune d'elles. Ainsi, par ex., dans la position
où la Fig. 3 représente cette pièce, la lumière oo est hors de service, et la
vapeur ne peut pénétrer dans le cylindre bb' qu'en passant par la lumière ii
qui la conduit en arrière du piston. Celui-ci est donc poussé dans le sens de
la flèche, et la vapeur renfermée en b', se trouvant refoulée, s'échappe par
l'ouverture oo qui la conduit dans la lumière d'échappement a, d'où elle
s'élance dans la cheminée par le tube destiné à cet effet. Mais au moment où le
piston arrive au bout de sa course, le tiroir se déplace, ouvre la lumière oo,
ferme l'autre, et la manoeuvre précédente recommence, mais en sens opposé,
comme l'indique la Fig. 4. Pour arrêter le mouvement du piston, et par
conséquent celui de la machine, il suffit d'amener le tiroir dans une position
telle (Fig. 5) qu'il ferme en même temps les deux lumières d'introduction.
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Lorsque le piston parcourt le cylindre, il arrive un moment
où son axe se trouve sur une même ligne droite avec ceux de la bielle et de la
manivelle. Ce moment se présente toutes les fois qu'il atteint l'extrémité de
sa course, soit dans un sens, soit dans l'autre (Fig. 6 et 7) : on dit alors
que la manivelle est à l'un de ses points morts. Si, dans ce moment, la
vapeur vient à presser sur le piston pour le faire rétrograder, le mouvement
pourra avoir lieu indifféremment soit en avant, soit en arrière.
Il résulte de là qu'une machine qui n'aurait qu'un seul
cylindre serait dans l'impossibilité de marcher si elle se trouvait arrêtée de
manière que la manivelle fût à un des points morts. C'est pour éviter cet
inconvénient que toutes les locomotives sont munies de deux mécanismes semblables
dont les manivelles sont à angle droit. De cette façon il y en a toujours une
qui est au milieu de sa course, quand l'autre est au bout de la sienne, et cela
suffit pour que le mouvement puisse se continuer dans le sens adopté. Quand il
est nécessaire de marcher dans une direction opposée, on y parvient à l'aide
d'un mécanisme spécial, appelé levier de changement de marche, qui est à
la portée du mécanicien. L'emploi de deux cylindres a encore un autre avantage
: c'est que, si l'un d'eux vient à se déranger en route, on peut, dans la
plupart des cas, continuer de marcher avec celui qui est en bon état.
C. Le train
ou chariot qui porte l'appareil moteur se compose essentiellement du châssis
avec ses accessoires, tels que chasse-pierres, attelages et plate-forme; des roues,
des boîtes à graisse et des ressorts. Nous avons peu de choses à
dire de ces parties. Le châssis est toujours formé d'au moins deux longerons
réunis par deux traverses : c'est sur lui que sont ajustées les diverses
parties de la machine que nous avons décrites plus haut. Les chasse-pierres
sont deux tiges de fer qui descendent verticalement jusqu'à 5 ou 6 millim. des
rails, pour débarrasser ces derniers des corps étrangers qui pourraient les
obstruer. On donne le nom d'attelage à l'appareil qui sert à réunir le
tender à la l. La plate-forme est cette surface plane où se tient le
mécanicien, et qui règne en général tout autour de la machine afin de pouvoir
en visiter toutes les parties durant la marche. Les roues des
locomotives sont invariablement fixées à l'essieu, de sorte qu'elles ne
tournent qu'avec lui. Elles sont généralement à rais de fer forgé. On appelle roues
motrices, celles dont l'essieu porte la manivelle que le piston met en
mouvement par l'intermédiaire de la bielle. Ces roues sont toujours plus
grandes que celles qui remplissent simplement la fonction de support, En effet,
il est facile de concevoir que chaque deux coups de piston faisant décrire aux
roues motrices une circonférence entière, on obtiendra, pour le même travail du
moteur, un effet utile d'autant plus considérable, que le diamètre de ces roues
sera plus grand : en d'autres termes, la l. marchera à plus grands pas. La
force de traction que développe une l. résulte de l'adhérence de ses roues avec
les rails. Il s'opère entre elles et ces derniers une sorte d'engrenage naturel
qui empêche les premières de glisser. Telle est l'explication très-simple du
poids énorme que l'on donne aux locomotives, poids qui, en moyenne, peut
s'évaluer de 25 à 30,000 kilogr., quand elles sont chargées. II nous paraît
inutile de décrire les boites à graisse et les ressorts.
D'ailleurs ces détails nous entraîneraient trop loin.
Le Tender, c.-à-d. le fourgon d'approvisionnement qui
porte l'eau et le coke nécessaires à l'alimentation de la l. en marche, peut
être considéré comme un accessoire de celle-ci : dans certaines machines même,
il fait corps avec la l. Le tender se compose essentiellement d'un châssis
ordinairement de fer, et d'une caisse de tôle. Cette dernière, qui contient
l'eau, est en forme de fer à cheval, et c'est sur sa partie supérieure que se
charge le coke. La prise d'eau se fait au moyen de deux soupapes placées à
l'avant de chacune des branches du fer à cheval. Ces soupapes se manoeuvrent au
moyen d'une tige à vis adaptée à la plate-forme du mécanicien ; sous le
plancher, elles communiquent avec deux tuyaux de cuivre rouge qui viennent se
placer dans le prolongement des tuyaux d'aspiration des pompes.
II. Toutes les locomotives présentent les parties
principales que nous venons de passer en revue, mais elles diffèrent les unes
des autres : par la forme de la boîte à feu ; par la disposition de la prise de
vapeur, ainsi que nous l'avons indiqué ; par la position des cylindres à
vapeur, qui sont placés sous la boîte à fumée, ou à côté de cette boîte, ou
contre le corps cylindrique de la chaudière ; par la disposition des tiroirs,
qui peut varier à l'infini ; par la forme de l'essieu moteur qui est droit et terminé
en dehors des roues par des manivelles (Fig. 1), ou coudé, et alors son coude,
qui est placé en dedans des roues, tient lieu de manivelle ; par le nombre des
roues, qui varie de quatre à douze ; par le diamètre de ces mêmes roues et la
position de leurs essieux ; par la position du châssis, qui est intérieur ou
extérieur aux roues ; par la disposition du mécanisme, qui peut être aussi
intérieur ou extérieur à celles-ci ; enfin, par le mode d'alimentation de la
machine, suivant que le tender est séparé de la chaudière ou fait corps avec
elle. Quel que soit leur mode de construction, toutes les locomotives
actuellement employées se classent dans une des trois catégories suivantes : L.
à grande vitesse où à voyageurs faisant en moyenne 45 kil. à l'heure
; L. à petite vitesse ou à marchandises ne faisant que 25 kil. à
l'heure, mais en traînant de grandes charges ; L. mixtes réalisant en
moyenne 35 kil. à l'heure et destinées aux trains omnibus et à ceux qui sont
composés de voyageurs et de marchandises. Ces différentes espèces ont été
nécessitées par les besoins du trafic des voies ferrées, et leur construction
est réglée par les exigences de leur destination spéciale. Toutefois plusieurs
systèmes particuliers ont réussi, dans ces dernières années, à acquérir, pour
certains services déterminés, une supériorité incontestable. Les plus
importants sont connus sous les noms de leurs inventeurs, l'Anglais Crampton et
l'Allemand Engerth.
La machine Crampton (Fig. 8) date de 1851. Elle est
à 6 roues, avec les essieux extrêmes très-écartés, le centre de gravité
très-peu élevé, un foyer de grande dimension, les cylindres et le mécanisme à
l'extérieur des roues ; mais ce qui la distingue plus particulièrement, c'est
que les roues motrices sont placées à l'arrière, et non pas au milieu, comme
dans les machines ordinaires. Cette disposition permet de leur donner un plus
grand diamètre (on est allé jusqu'à 2 m. 40 et 2 m, 80), et, par suite,
d'obtenir de plus grandes vitesses. C'est avec des locomotives de ce système que
l'on a pu, dès 1852, sur nos chemins de fer du Nord et de l'Est, marcher à des
vitesses normales de 75 à 80 kil. à l'heure. On peut même atteindre sans danger
des vitesses de 110 et 120 kil. Elles ont en outre l'avantage de se comporter
admirablement dans les divers accidents auxquels l'exploitation des railways
est exposée. Ainsi, dans beaucoup de circonstances où d'autres locomotives
avaient été renversées, celles du système Crampton se sont maintenues debout
sur les rails, sur la voie, ou même sur les talus des remblais, et ont pu
fournir la course nécessaire à l'amortissement de la force vive dont le convoi
était animé. La l. Crampton est spécialement propre aux grandes vitesses et
destinée aux convois de voyageurs. Au contraire, celle d'Engerth marche à
petite vitesse. Elle a paru, pour la première fois, en 1853, sur le chemin du
Soemmering, entre Trieste et Vienne, Elle est disposée pour remonter des rampes
très-prononcées avec de pesant convois, et pour voyager dans des courbes de
très-petit rayons Le tender est invariablement uni avec la chaudière, afin
d'augmenter l'adhérence de l'appareil moteur à la voie ; néanmoins les deux
parties peuvent tourner indépendamment l'une de l'autre dans les sinuosités de
la voie, au moyen d'un système de roues dentées qui forme une articulation
analogue à la cheville ouvrière des voitures ordinaires. Dans cette machine, la
chaudière repose en partie sur le tender, et le tout est porté sur cinq paires
de roues dont trois pour la chaudière et deux pour le tender. Les trois
premières sont couplées, c'est-à-d. liées entre elles par des bielles et des
manivelles, de manière à jouer le rôle de roues motrices. La l. Engerth a
jusqu'à présent parfaitement justifié les espérances de l'inventeur ; elle
permet, en effet, de développer une force de traction suffisante pour franchir
des pentes d'une très-forte inclinaison, et, attelée à des convois d'une grande
longueur, elle tourne sans peine, sur le Sœmmering, dans des courbes de 180
mètres de rayon. On a construit dans ce système des locomotives dont le poids
total, charge comprise, s'élève jusqu'à 64, 500 kilogr.
Nous avons parlé ailleurs des freins employés sur les
chemins de Fer, des essais faits pour accroître l'adhérence de l'appareil
moteur aux rails, etc.. (voy. CHEMIN de fer, FREIN, etc. ); en conséquence,
nous ne reviendrons pas sur ces questions, et nous terminerons par
quelques mots sur l'historique de l'admirable invention qui
fait l’objet de cet article.
III. L'invention de la l. a précédé celle des chemins
de fer ; en effet, les auteurs des premières recherches faites sur l'emploi de
la vapeur comme force de traction se proposaient simplement de substituer cette
force à celle des animaux et pensaient l'appliquer aux voitures qui circulent
sur les routes ordinaires. Les Anglais attribuent la première idée théorique de
cette application au docteur Robison (1759), mais ce savant ne chercha pas à la
faire passer dans la pratique. En 1769, un ingénieur français, Jos. Cugnot,
présenta au gouvernement un chariot ou fardier à vapeur qu'il
destinait, au transport rapide de l'artillerie. Ce chariot fui essayé à Paris
sous la direction du général de Gribeauval; mais il fut impossible d'en tirer
parti. En 1786, l'Américain Oliver Evans aborda le même problème, et réussit à
faire marcher une voiture à vapeur dans les rues de Philadelphie (1804). Vers
le même temps, deux constructeurs anglais, Trewethick et Vivian, après avoir
étudié de leur côté cette question, reconnurent son insolubilité. Cependant,
pour ne pas perdre entièrement le fruit de leurs travaux, ils imaginèrent
d'essayer leur machine sur les chemins à rails de fer qui depuis longtemps déjà
servaient, dans les houillères, pour transporter la houille des points
d'extraction au point d'embarquement. L'expérience fut faite en 1804 sur le
chemin de Merthyr-Tydwill, dans le pays de Galles ; mais la machine nouvelle ne
put faire que 8 kilom. à l'heure, quoiqu'elle remorquât seulement dix tonnes de
poids utile : aussi cet essai fit peu de sensation. A cette époque, d'ailleurs,
on croyait que les roues ne pourraient jamais adhérer assez fortement sur les
rails pour que l'emploi des nouveaux véhicules à vapeur pût devenir d'une
grande utilité. En conséquence, les ingénieurs qui tentèrent de marcher dans la
voie indiquée par Trewethick et Vivian songèrent surtout à trouver quelque
mécanisme propre à augmenter l'adhérence des roues sur les rails. A cet effet,
on imagina de pratiquer des rainures transversales sur les jantes des roues; de
placer au milieu de la machine une roue dentée qui engrenait avec un rail en
crémaillère établi entre les rails ordinaires ; un peu plus tard encore on eut
l'idée d'adapter à l'arrière des espèces de jambes mobiles, que les pistons des
cylindres faisaient appliquer contre le sol, etc. En 1813, Blackett démontra
expérimentalement que l'adhérence des roues sur les rails était suffisante pour
faire marcher les machines sur des chemins sensiblement de niveau ou d'une
faible inclinaison. Celle découverte fut un grand progrès ; néanmoins les
locomotives continuèrent longtemps encore à fonctionner très-imparfaitement.
Leur chaudière étant disposée comme celle des machines fixes, la partie
destinée à la formation de la vapeur ne présentait qu'un seul cylindre, et
quelques dimensions qu'on lui donnât, la surface de chauffe obtenue était tout
à fait insuffisante. Enfin, en 1828, Marc Séguin, directeur du chemin de fer de
Saint Étienne à Lyon, conçut l'heureuse idée de la chaudière tubulaire que nous
avons décrite. Mais comme il était à craindre qu'avec des cheminées peu
élevées, les seules qu'il fût possible de placer sur la chaudière, on ne pût
obtenir un tirage convenable à travers ces petits tubes, il eut l'idée de
provoquer un tirage artificiel en disposant dans le foyer un ventilateur à
force centrifuge que la machine elle-même mettait en mouvement. Toutefois cette
deuxième invention n'eut pas tout le succès qu'en espérait son auteur, et la
marche de la l. présentait encore de nombreux inconvénients. La solution
définitive du problème était réservée à l'Anglais Georges Stephenson, secondé
par son fils Robert. Le célèbre ingénieur adopta la chaudière tubulaire de
Séguin, et imagina d'activer le tirage en introduisant dans la cheminée la
vapeur qui avait servi à mettre les pistons en mouvement, et qu'on laissait
perdre dans l'atmosphère. La première l. établie d'après ce système se nommait
la Fusée (the Rocket) ; elle fut construite par Robert Stephenson, sous la
direction de son père, et marcha, pour la première fois, le 15 sept. 1830, sur
le chemin de fer de Liverpool à Manchester. La supériorité des machines de ce
genre comme moyen de traction fut dès lors irrévocablement constatée, et c'est
à leur adoption que les railways doivent la haute prospérité où nous les voyons
aujourd'hui. Depuis 1830, rien n'a été changé au principe fondamental de la
construction des locomotives. Leur puissance seule a reçu de grands
accroissements, parce qu'on a réussi à augmenter leurs dimensions et que l'on a
introduit une foule de perfectionnements dans les diverses parties de la machine.
Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur au Traité des chemins de fer
d'AUG. PERDONNET (2è édit., 1860), où l'on trouvera l'étude comparée
de tous les systèmes de construction et des perfectionnements les plus récents
qu'on y a apportés.